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Marie-Christine JAILLET,
Directrice de recherche au CNRS, membre du LISST – CIEU
Université Toulouse II – Jean Jaurès
En France, si l’émergence des métropoles a été confortée pour favoriser le développement économique, la métropolisation pose de nouveaux enjeux qui conduisent à interroger nos grilles de lecture du fait urbain.
Le développement des métropoles a été fortement soutenu par l’action publique : creuset de l’innovation et de l’économie de la connaissance, elles détiendraient les clés de la croissance. Pour aussi robustes qu’elles soient, elles ne sont néanmoins pas à l’abri de catastrophes, naturelles ou industrielles, de pannes des systèmes sociotechniques qui les administrent et les régulent, ou d’un retournement de conjoncture économique. Elles ne sont pas non plus exemptes de fragilités, qu’elles s’expriment par l’aggravation des ségrégations ou par le creusement des inégalités. Celles-ci ne tiennent pas seulement aux inégalités de richesse, mais au fait qu’il faut maîtriser les codes de l’univers métropolitain pour en saisir les opportunités. La métropolisation accroît sans aucun doute les ressources de toute nature que les villes peuvent mettre à disposition de leurs habitants en matière d’emplois, de logements, de services, d’équipements, de loisirs, de rencontres, de sociabilités… Mais elle ne leur en délivre pas le mode d’emploi.
Des métropoles attractives pour tous
La métropole pourrait s’apprécier comme le creuset « idéal » de cette société d’individus qui caractérise le monde social d’aujourd’hui, à même de tisser leur vie à partir de leurs désirs et de leurs projets. Mais entre cette « utopie » et la réalité, il y a l’épaisseur des inégalités sociales. Certains, disposant de l’ensemble des ressources et compétences nécessaires, monétaires et sociales, sont en capacité d’être pleinement à l’aise et dans le rythme de la métropole. D’autres, qui en sont moins pourvus, sont néanmoins en situation de pouvoir y organiser correctement leur vie, quand d’autres peinent à y faire leur place et en sont réduits à occuper ses marges, ou pour les nouveaux migrants, ses interstices. Comment l’action publique peut-elle, dans le même temps, s’attacher à améliorer le niveau de ressources mis à disposition des habitants et surtout travailler à ce qu’ils soient en capacité de s’en saisir ? Mais la question des inégalités et de leur accroissement interroge également les politiques urbaines autrement. Dans le cadre d’une compétition généralisée, les métropoles cherchent à accroître leur attractivité pour faire venir à elles entreprises, activités, chercheurs, développeurs, artistes, ingénieurs, étudiants…
Ces politiques qui visent à leur permettre, par de grands aménagements et des projets « structurants », de renforcer leurs atouts et aménités, aboutissent aussi à un renchérissement des marchés urbains qui amplifie les processus de tri interne des populations urbaines : certaines ont les moyens de s’installer en ville tandis que d’autres sont rejetées de fait vers les périphéries. Est-il possible de dépasser cette contradiction pour que les espaces centraux de la métropole restent habitables par tous ? Comment contenir les processus d’élitisation à l’œuvre ? Comment éviter que la place faite aux couches moyennes et populaires ne se rétracte et ne se périphérise inéluctablement ?
Comprendre et penser la « ville passante »
Il existe aussi d’autres formes de fragilité, plus discrètes, qui tiennent à la force des mobilités individuelles dont les métropoles sont l’objet. Il ne s’agit pas ici des déplacements quotidiens engendrés par les activités de leurs habitants, mais des mobilités qui participent du renouvellement constant de leur peuplement : les métropoles fonctionnent en effet un peu comme des « plaques tournantes » traversées d’une part par des flux continus d’entrées et de sorties (dont le solde migratoire rend compte de manière bien imparfaite) et d’autre part par des flux internes liés aux changements de localisation résidentielle. Ces circulations incessantes font cohabiter dans la métropole des ménages inscrits dans des temporalités et des trajectoires différentes. Or, les acteurs de la ville, professionnels de l’urbain ou élus, éprouvent des difficultés à penser et fabriquer la « ville passante », celles des mobilités, du renouvellement, de l’instabilité. Fabriquer la ville en privilégiant la référence à l’ancrage, l’enracinement, c’est proposer un cadre pour partie inapproprié. Penser la ville du mouvement suppose de désindexer les cadres de la vie sociale du seul territoire, et a fortiori du seul territoire de la proximité. Et l’exercice est d’autant plus difficile que les enjeux environnementaux ont édifié la ville des courtes distances comme un modèle de référence dont la seule traduction opérationnelle à ce jour reste celle du « quartier »… où l’on circule à pied, de son logement aux commerces, de l’école à la salle de sports, où l’on parle avec ses voisins…
La question des inégalités et de leur accroissement interroge également les politiques urbaines autrement
Difficile, à l’heure des réseaux, de la dématérialisation des flux et d’une partie des interactions sociales, de ne concevoir la métropole que comme une addition de quartiers. Comment élaborer les projets urbains à partir d’un référentiel qui prenne en compte ces nouveaux enjeux ? À minima, il convient au préalable de disposer d’une grille de lecture du fait métropolitain capable de le saisir dans ses dynamiques et ses processus. Il n’est pas assuré que ce soit encore le cas.
Photo mise en avant : © L. Adolphe
Contenu additionnel :
LA MÉTROPOLE EN MUTATION :